Les choses commençaient plutôt mal. En me prédisant lors de ma naissance un destin funeste, mon père, le roi Jacques V d’Écosse, avait vu juste. Il est vrai que la naissance d’une fille était déjà en soi considérée comme un événement dramatique. Je suis née le 8 décembre 1542. Mon père mourut cinq jours plus tard laissant derrière lui une veuve et une fille catholiques face à son ennemi héréditaire, Henri VIII d’Angleterre, et protestant de surcroît. Face à la Réforme qui gagnait la noblesse écossaise et aux velléités territoriales d’Henri VIII qui tentait de me marier à son très jeune fils, ma mère me fit couronner reine d’Écosse à neuf mois, provoquant l’ire de son tout puissant voisin. Peu de temps après, elle organisa mes fiançailles avec le fils ainé du roi Henri II de France. C’est ainsi que je quittai mon pays et ma mère à l’âge de six ans pour rejoindre un royaume inconnu où je vécus mes plus belles années. J’étais une enfant exquise, belle, cultivée et polyglotte. Cavalière accomplie et excellente danseuse, je chantais et jouais également du luth à merveille. Ronsard et du Bellay en étaient subjugués. Je portais des robes faites dans les étoffes les plus riches et possédais trois coffres remplis de bijoux. Je fus élevée dans l’idée que je tenais mon pouvoir de Dieu et que personne ne pouvait me ravir ma couronne. Ma vie n’était que délices et honneurs. L’apogée de ma majesté fut atteint lors de mon mariage avec le dauphin puis lors de mon couronnement comme reine de France. Un an plus tard, ma vie bascula préfigurant ma descente en enfer : je perdis coup sur coup ma mère et mon époux. Devenue indésirable à la cour de France, je retournai en Écosse, ma terre natale que je ne connaissais pas. Portant le deuil de mon passé, je quittai un pays faste et raffiné pour un pays pauvre et rural, déchiré par les tensions claniques. J’avais dix-neuf ans, j’étais veuve, orpheline et reine catholique cernée de protestants. Pour ne pas attiser les dissensions, je décidai de tolérer les schismatiques et refusai d’être le porte-drapeau des catholiques. Mais les ornières mentales ont la vie dure et cette attitude me fut reprochée. Tout comme mon sexe du reste. Pour asseoir mon autorité, je fis le choix de me marier, mais ce choix était schizophrénique tant il était impossible de déterminer la meilleure alliance dans un contexte aussi tendu. Mon époux devait-il être catholique ou protestant ? Écossais ou étranger ? Finalement, j’épousai mon cousin dont j’étais follement éprise. Comme moi il était catholique et comme moi il avait des droits sur la couronne d’Angleterre, couronne à laquelle je ne renonçai jamais, bravant ainsi ma cousine Élisabeth 1re. Mon mari se révéla rapidement odieux : je fus humiliée, trompée, battue et enceinte. Son assassinat fut une délivrance. Trois mois après, j’épousai mon amant qui n’était pas complètement étranger à la mort de mon précédent époux. Si mon deuxième mariage fut désastreux, le troisième fut tragique et causa ma perte. Excédés par ma conduite si peu royale, les nobles écossais levèrent une armée et me firent prisonnière. Je dus abdiquer en faveur de mon fils âgé d’un an et avec l’aide d’un gardien tombé sous mon charme, je réussis à m’enfuir pour l’Angleterre où j’espérais la protection de ma cousine ainsi que son trône. En fait de protection, je fus gardée captive durant dix-neuf ans par Élisabeth avant d’être exécutée. Nos échanges épistolaires furent nombreux, mais elle ne voulut jamais me rencontrer.
La mort, cette aventure commune à tous se vit seule même pour une reine de droit divin. Accusée de conspiration contre la reine d’Angleterre, je fus condamnée à mort. Ma décapitation ne fut pas de tout repos : le premier coup de hache fut assez profond pour m’arracher un gémissement, mais pas assez pour obtenir une décollation nette. Le deuxième coup non plus d’ailleurs. Le troisième fut le bon. Une fois ma tête ensanglantée à terre, le bourreau qui à l’évidence était saoul, voulut la ramasser pour la montrer à l’assistance, mais n’eut en main que ma perruque. Mon pauvre crâne aux cheveux ras et gris avait roulé au sol et offrait un contraste grotesque avec la toilette que j’avais pris soin de choisir pour ce jour si singulier : une magnifique robe de velours brun au corsage de soie noire agrémentée d’une très belle fraise blanche. J’avais quarante-quatre ans. La vie est si hasardeuse. J’ai vécu un véritable conte de fées avant de me noyer dans la passion qui m’a littéralement consumée. Déchirée entre amour et devoir, j’ai été incapable de sortir mon pays du Moyen Âge et de la féodalité. Mais à peine morte et malgré mes insuffisances, je suis devenue un véritable mythe et mon aura romanesque a inspiré un grand nombre d’œuvres poétiques et littéraires. On dit que ma seule rivale dans ce domaine est la Vierge Marie elle-même. Amusant non ?